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Google, cet « obsédé textuel »

Titres plus courts et mots-clés sélectionnés en fonction des tendances : le choix des mots doit se plier aux exigences du référencement. Loin d’être un appauvrissement de la langue, pour les experts, ces formes d’écritures feraient émerger une créativité nouvelle chez les journalistes.

“Ne pas mentionner le référencement à mes étudiants serait une hérésie ”, affirme sans détours Jean-Charles Bouniol, enseignant d’écriture web à l’Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine (Ijba). Comment bien référencer un article sur le net ? Comment écrire un titre qui offre une bonne visibilité sur les moteurs de recherche ? Quelles contraintes imposer à l’écriture pour répondre aux logiques de référencement dictées par les algorithmes ? Toutes ces questions, le formateur se les pose depuis 20 ans. Chaque année, il fait évoluer sa formation pour correspondre aux exigences mouvantes du référencement.

Pourtant, selon lui, ces outils ne dictent pas ce qu’est un bon article web. “Dans mes cours, j’ai toujours privilégié la qualité d’écriture à l’optimisation web. J’explique qu’il faut écrire normalement. Je parle de sujet, de problématique et de récit. Et puis, à un moment, je parle de la notion de mots-clés, qui compte beaucoup.

Depuis Marseille, Vincent Jamin, linguiste et consultant en référencement, explique : “Le référencement naturel, c’est le fait de pouvoir positionner un site, sur des mots-clés donnés, le plus haut possible dans les résultats de Google.” Si l’algorithme Google est opaque pour les acteurs du web, il est vite apparu que le contenu des articles jouait une place importante. “Aux premiers temps du référencement, les algorithmes ne prenaient pas en compte le contenu des pages, raconte Jean-Charles Bouniol. Puis, quand Google est arrivé, il a rapidement mis en place un système d’analyse de chaque terme d’un article.” La question du choix des mots a alors pris une place centrale pour les articles web, qui ont vu apparaître les mots-clés. 

Les pieds à peine posés dans la rédaction de France 3 Occitanie, Pauline Senet a été confrontée à la question du référencement. L’étudiante en journalisme de 21 ans y a débuté son alternance, en tant que journaliste web et télé. Une double casquette qui lui a permis de découvrir des règles de rédaction pour ses articles. “J’ai reçu une documentation très précise sur la façon d’utiliser les mots ou de titrer en fonction du référencement. On comprend vraiment que chaque mot est important.” Isabelle Petit-Felix est sa formatrice au sein de la rédaction. Éditrice web, elle aide et forme les journalistes à se plier aux contraintes du référencement. “Par exemple, quand on hésite entre deux synonymes, on utilise Google Trends, qui peut nous dire lequel est le plus recherché.” Dès son premier article, Pauline Senet a mis en application cette technique : “Pour un article sur des champions de VTT, au lieu d’employer “remporter” on a mis “gagner”, qui était plus haut dans les trends, les tendances de recherche Google.

Les titres sous contrainte

Pour se plier aux exigences du référencement, un article doit répondre à ses contraintes. Mais, pour Jean-Charles Bouniol, cela ne trahit pas le métier de journaliste. “Chaque support a ses exigences. Les connaître, c’est pouvoir s’en affranchir et viser une qualité rédactionnelle pure”, rappelle le professeur.

De l’autre côté de la Garonne, Pierre-Yves Crochet, responsable adjoint du service web du journal Sud Ouest, dresse le même constat. “Un même article issu du journal papier, selon qu’on laisse le titre du journal ou qu’on l’adapte au web, va plus ou moins marcher.” Isabelle Petit-Felix poursuit : “Au contraire de l’éditeur web, le journaliste qui écrit pour la TV n’a pas à se soucier des mots-clés. C’est presque un double travail : c’est la même information mais deux écritures différentes.

Le mot d’ordre des journalistes web ? “Le titre ! ”, répond sans hésitation Vincent Jamin. “Le titrage est très important. Sur Internet, cet ensemble de mots est représenté par des balises HTML, dans lesquelles l’information est donnée petit à petit. Elle va être analysée par le moteur de recherche, de façon à ce que le programme informatique sache quel est le contenu de la page présentée à l’internaute.Isabelle Petit-Felix acquiesce. L’éditrice se glisse alors dans la peau de l’internaute. “Pour la titraille, on va se demander ce que les gens cherchent dans les requêtes Google.” Et l’algorithme a également son mot à dire sur le nombre de caractères du titre et du chapô. “La place est limitée lorsque l’on fait une recherche Google. Il faut que le titre soit en entier et qu’on puisse voir les deux premières phrases du chapô.

Chaque mot ayant son importance, au diable les titres humoristiques, allusifs ou purement incitatifs. Seule l’information pure sera effective. “Les titres informatifs, avec des mots-clés précis, sont bien mieux référencés que les autres”, relève Brigitte Besse, sémiologue et docteure en linguistique, ancienne consultante pour des chaînes de télévision. Au bout du fil, Vincent Jamin approuve. Le but de l’algorithme est clair. Dès les premiers résultats de sa recherche, “l’internaute doit obtenir les pages qui le satisfont”.

L’écriture des titres a donc été bouleversée. “Ça a été très visible pour les médias numériques et leur manière de titrer, de placer les mots dans l’introduction de l’article”, constate Jean-Charles Bouniol. Le professeur explique que ces automatismes ont “créé des listes de mots incontournables qu’il faudrait faire apparaître dans l’article et ont permis de gagner en précision sur les mots choisis. Et ça, ça sert le journalisme. C’est faire de l’optimisation internet sans polluer la qualité d’écriture”.

Un vocabulaire plus précis

La suite de l’article n’est toutefois pas à négliger, selon Vincent Jamin. “L’idée, c’est de prendre les champs sémantiques qui ont trait au mot-clé principal et rédiger un contenu avec une richesse de vocabulaire la plus large possible. Le titre va indiquer la thématique principale de la page avec le mot-clé. Le corps du texte va développer le champ lexical autour de ce mot, de façon très complète.

Brigitte Besse distingue ainsi les hypo mots-clés des hyper mots-clés. Pour le titre, les mots doivent rester généraux. En revanche, dans le corps du texte, des mots plus spécifiques font leur apparition. “Le référencement a plus de chance de marcher si on utilise des hypo mots-clés, plus précis.” Un exemple ? “Mieux vaut utiliser le mot clemenvilla plutôt que simplement agrume dans le texte”, explicite Brigitte Besse, pédagogue invétérée.

L’exigence de l’utilisation de mots-clés n’appauvrit pas la richesse du vocabulaire utilisé, selon le linguiste Vincent Jamin. L’évolution de l’algorithme tend vers “une logique de sens” dans la recherche Google. “Désormais, les liens entre les pages doivent rester dans le même thème. Aujourd’hui, il faut que la langue soit riche, plus on va utiliser de périphrases ou de synonymes plus on va donner de l’information de manière diversifiée. On est dans l’enrichissement de la langue par la force des choses.

Tel un mantra, Isabelle Petit-Felix le répète : “Google n’aime pas les blocs de textes.” La structure de l’article influence ainsi directement son écriture. Les paragraphes permettent de garder le lecteur plus longtemps, c’est plus facile à lire. Les intertitres permettent de structurer l’article et on peut y mettre des informations journalistiques en avant, comme un chiffre.

Dans les locaux du journal Sud Ouest, Pierre-Yves Crochet relève qu’en moyenne “un internaute passe 10 secondes sur un article. On ne lit pas de la littérature en 10 secondes.” Cette exigence de rapidité amène parfois l’auteur à utiliser des mots “moins complexes. Mais cette écriture n’est pas moins noble”, ajoute-t-il. 

Des contenus de plus en plus riches

Pour les médias abonnés à l’AFP, l’Agence France-Presse, la reprise des dépêches produites par l’agence de presse est également devenue un enjeu majeur. Comment se démarquer avec un contenu identique ? En effet, pour des actualités brûlantes, loin des rédactions, de nombreux médias reprennent les textes écrits par l’AFP. Or, comme l’explique Pierre-Yves Crochet, “Une même dépêche AFP sera mise en avant par Google si elle est issue d’un gros site d’information.” Pour Sud Ouest, il a alors fallu trouver des moyens de se démarquer, pour gagner en visibilité. “Ce n’est pas forcément quelque chose d’extraordinaire mais en réécrivant le début d’une dépêche, en travaillant l’accroche et le titre, en choisissant une photo pertinente et en cherchant à enrichir le contenu, on arrive à se distinguer.

Vincent Jamin le confirme, un contenu enrichi aura plus de chances d’être mieux référencé. “Google veut que ses utilisateurs trouvent les articles les plus complets et du premier coup. Un contenu textuel enrichi d’une photo, d’une vidéo ou de liens hypertextes qui renvoient vers des sites adaptés, permettra une expérience plus complète et sera mieux référencé.Des nouvelles formes de narration se mettent donc en place, où l’image statique, la vidéo et les infographies entrent en résonance. Et Isabelle Petit-Felix voit cela d’un bon œil : “Il y a un côté qualitatif dans ce qu’on peut amener dans le corps du texte grâce à tous ces nouveaux contenus.

Ces contenus plus qualitatifs sont souvent payants, mais trouvent une audience sur le web. “Jusqu’en 2019, nos articles “premium” n’étaient pas vus par Google, donc ça ne générait pas beaucoup de trafic, explique Pierre-Yves Crochet. Maintenant, un article premium, si l’info est bonne, sera vu par le lecteur et aura une visibilité.

Pour l’enseignant Jean-Charles Bouniol, “des nouvelles écritures très créatives ont vu le jour grâce aux contenus enrichis. Les médias sont devenus polymorphes”. En effet, aujourd’hui, pour gagner la bataille du référencement, tous les médias produisent différents contenus : les télévisions ont des sites web, les journaux font de la vidéo… “Toutes ces nouvelles écritures découlent des contraintes du support. Le webdocumentaire était une forme très intéressante pour ça, car il proposait un contenu très complet et immersif. Dommage qu’il n’ait pas su trouver son public.

Pourtant, malgré l’importance prise par les images, l’algorithme de Google fonctionne essentiellement sur la reconnaissance de mots et non sur le contenu des illustrations. “Google est un obsédé textuel, sourit Isabelle Petit-Felix. Ça influence notre façon de légender nos photos. Il faut remettre les mots-clés et recontextualiser la scène qu’on voit dans l’image.” En effet, les photos sont référencées sur Google images en fonction des mots employés dans la légende. Pour le futur, Jean-Charles Bouniol est serein : “J’espère que les journalistes ne tomberont pas dans le piège absolu de se scléroser dans l’écriture, juste pour répondre à un algorithme. J’espère que l’écriture restera de l’écriture et non pas de l’accumulation de mots pour faire plaisir au référencement. Mais je n’ai pas d’inquiétude, je pense que les journalistes font leur métier avec leur conscience et je ne pense pas qu’ils tomberont dans ces travers-là.

Léna Trichet et Thérèse Thibon

Bon à savoir

  • Référencement : classement le plus haut possible d’un site sur une thématique précise dans les résultats d’un moteur de recherche. 
  • Mot-clé : mot d’un texte qui permet d’en déterminer la thématique principale et donc de le référencer sur le web. 
  • HTML : Issu du sigle anglais HyperText Markup Language, HTML se traduit comme “langage de balises pour l’hypertexte”. C’est le langage informatique pour mettre sur le web du contenu rédigé. Il crée et représente le contenu d’une page web et de sa structure.
  • Google trends : outil qui permet d’identifier le nombre de fois où un mot a été recherché sur Google. 
  • Chapô: Partie d’un article journalistique apparaissant après le titre et résumant, en quelques mots, le papier.