Pour les nouveaux médias : la qualité avant d’être bien référencé
Limités par leurs moyens ou enhardis par leurs ambitions journalistiques, les médias indépendants qui se lancent sur le web n’ont pas toujours de réelle stratégie pour gagner en visibilité grâce aux algorithmes de Google et des réseaux sociaux. Ils développent alors un modèle où la recherche du bon référencement n’est plus une priorité pour trouver leur public.
Adepte du « scrolling » sur les réseaux sociaux lors de mon repos dominical, je consultais mon fil d’actualité Facebook, quand, soudain, est apparu, entre deux memes, un contenu sponsorisé de Podcastine, nouveau média de podcasts consacré à l’actualité de la région Nouvelle-Aquitaine, lancé début octobre. Je m’étais rendu sur leur site un peu plus tôt dans la journée. Me vint alors une interrogation : comment un média indépendant, qui vient d’être créé, parvient-il à faire de la publicité aussi ciblée ?
La réponse du fondateur de Podcastine, Jean Berthelot de la Glétais, est simple : c’est parce que ce n’est pas le média qui l’a « fait », mais bel et bien Facebook. « Nous, nous payons le réseau social pour obtenir un forfait de publicités. Mais ce n’est pas nous qui déterminons quels utilisateurs vont être touchés, ça, c’est la cuisine interne de Facebook. Peut-être que la pub est d’abord visible sur les fils de nos amis », suggère le journaliste. Certains podcasts sont certes effectivement mis en avant par la publicité, “pour se tester et voir si ca peut marcher”, explique Jean Berthelot. Mais pour autant, l’équipe de Podcastine ne cherche pas à optimiser la promotion de ces contenus, qui pourraient davantage cibler des utilisateurs précis par le truchement des algorithmes.
Une certaine idée du journalisme
Jean Berthelot de la Glétais, qui possède également une société de contenus éditoriaux, connaît bien les enjeux des algorithmes pour gagner en visibilité sur les réseaux sociaux et via le référencement Google. Mais il a rapidement fait le choix, pour Podcastine, de ne pas se fonder sur les logiques algorithmiques pour développer son média : pour lui, « les médias indépendants et de petite taille qui marchent misent avant tout sur la qualité éditoriale. C’est une vision très radicale, que j’assume totalement ». Ce choix, qui a fait consensus au sein de l’équipe, révèle une volonté de défendre une certaine idée du journalisme. « De mon point de vue, prendre en compte les algorithmes, c’est déjà faire entrer le loup dans la bergerie, avec du marketing qui va influencer l’éditorial ».
D’autant que Jean Berthelot de la Glétais estime que le journalisme qui surfe sur les sujets à la mode pour être mieux référencé n’est plus si crédible : « Aujourd’hui, on voit les ficelles venir de trop loin, j’ai l’impression d’être pris pour un jambon par les médias qui s’intéressent trop aux algorithmes et qui sortent des vidéos sans plus-value, qui ne sont là que pour exister ».
“Prendre en compte les algorithmes, c’est déjà faire entrer le loup dans la bergerie”
Bien sûr, construire la notoriété d’un média à la seule qualité de ses sujets n’est pas chose facile, d’autant qu’ « il y a peu de podcasts bien référencés, notamment dans Google Actualités, à part les plus populaires qui en auraient moins besoin aujourd’hui. C’est difficile de résumer les podcasts en quelques lignes, ils sont moins susceptibles d’amener du clic, sachant que beaucoup d’entre eux jouent la carte de la longueur ». L’équipe de Podcastine est néanmoins prête à relever le défi d’un média sans stratégie vis-à-vis des algorithmes : « Quitte à essayer, autant essayer avec ses convictions et essayer de vivre avec ses idées. »
Outre le format audio, les médias spécialisés dans les articles long format peinent également à tirer parti du système de référencement de Google. Créée en 2017, la revue Far Ouest, média en ligne indépendant spécialisé dans l’enquête en région Nouvelle-Aquitaine, a en premier lieu voulu se désintéresser des algorithmes. « La première année, on a d’abord cherché à développer l’image d’un média crédible », raconte son fondateur Flo Laval, « mais on a eu très peu d’audience. En faisant du long format et du local, on est dans une niche, on se coupe donc de l’actu et du scoop, tout ce dont raffolent les algorithmes ». Le média a fini par émerger sur Facebook, notamment grâce à des vidéos courtes, avec une accroche et des formules adaptées au téléphone portable.
“En faisant du long format et du local, on se coupe de l’actu et du scoop, ce dont raffolent les algorithmes.”
Mais, loin d’être une finalité, Flo Laval voit plutôt cette stratégie comme une étape nécessaire à dépasser : « on s’est longtemps laissé dicter les règles par Facebook, et on souhaite désormais revenir sur une relation plus directe avec les abonnés. L’objectif n’est plus que nos contenus gratuits soient vus au maximum, mais que les gens s’abonnent. »
Le but est aussi d’éviter de laisser trop d’énergie sur des stratégies inefficaces. Flo Laval confesse notamment « tâtonner » sur Instagram : « Si tu n’es pas influenceur, c’est difficile d’émerger. Pour le moment, on utilise trop l’application comme un relai de nos productions, on ne crée pas vraiment de contenus exclusifs au réseau social, car on n’a pas les moyens d’engager un journaliste pour travailler dessus ». S’emparer des algorithmes implique d’être prêt à investir, pour des résultats incertains.
Si Far Ouest compte se détacher dans les prochains mois des algorithmes, Flo Laval ne peut envisager, à terme, un abandon total des stratégies de communication. « On ne va pas faire la guerre ni la révolution à Facebook, on est avant tout suiveur. Ce n’est pas une science exacte, peut être que dans quelques mois, on va y revenir. »
Fidéliser pour surmonter la dépendance aux algorithmes
Difficile, pour les médias indépendants en développement, de jouer pleinement le jeu onéreux des algorithmes, et difficile, dans le même temps, de s’en passer et de se priver des sources de visibilité. Les Jours ont décidé de surmonter ce dilemme. Ce média indépendant et sans publicité, créé en 2016, a bâti son succès sur des séries d’enquête abordant des thèmes précis, comportant de multiples épisodes pour fidéliser l’audience et l’encourager notamment à se réabonner. Un concept efficace, « vieux comme la presse à suivre en feuilleton. Ce qui est nouveau, c’est qu’on le fait sur Internet », analyse le responsable marketing des Jours, Julien Apack. Si le média l’a engagé pour optimiser le référencement sur Google, c’est pour effectuer des opérations principalement techniques, concernant surtout des modifications de l’affichage du site.
« Chaque semaine, on regarde les chiffres de la semaine passée, en observant pourquoi certains articles ont fait plus ou moins de trafic, mais sans que ça ne guide ensuite les choix éditoriaux. » Car ce trafic n’est pas la source principale d’abonnement aux Jours. Julien Apack et son équipe comptent bien davantage sur le bouche à oreille via les réseaux sociaux comme Twitter. Et le responsable marketing assure ne pas avoir de stratégie d’acquisition de followers. « Le compte Les Jours en a 50 000, ils sont venus là d’eux-mêmes, on n’est pas venu les chercher, on n’a pas payé Twitter ni des agences pour les amener. Pour l’instant on continue comme ça, on n’a pas de budget à consacrer et on n’a pas envie de se rendre dépendant, ni de donner de l’argent aux plateformes. »
“Il n’y a aucune recette magique”
Julien Apack tient enfin à prendre du recul vis-à-vis des algorithmes. Un média spécialisé dans le long format sur des sujets de fond, ne saurait s’appuyer sur les stratégies marketing et les sujets à la mode pour créer du contenu, ce serait présumer des attentes des lecteurs : « Il n’y a aucune recette magique, des sujets auxquels on croyait n’ont pas du tout marché, et inversement ». Le succès des médias en ligne de long format, comme Les Jours, StreetPress, ou Médiapart atteste que les médias, pour se lancer, ne sont pas forcés de rechercher à tout prix, via les logiques algorithmiques, l’intérêt du public, mais peuvent bel et bien le créer grâce à des contenus neufs et intéressants.
Pour les médias vidéos, le choix est plus restreint. En particulier ceux qui s’implantent sur Youtube et qui se retrouvent dépendants de son algorithme pour rendre la chaîne visible par le plus grand nombre.
Se développer sur YouTube pour exister ?
Sur la page d’accueil de YouTube, les vlogs de voyage, vidéos réactions et canulars côtoient clips et musiques du moment dans un pêle-mêle difficile à déchiffrer. La plateforme américaine, visitée par 46 millions de Français tous les mois, rassemble dans sa partie « tendances » des vidéos qu’elle souhaite mettre en avant et proposer aux internautes. Pour les youtubeurs, cet onglet est d’une importance capitale et dope systématiquement la visibilité. Certains, dans un mimétisme parfois assumé, tentent régulièrement de percer à jour les secrets de l’algorithme pour se glisser dans les vidéos phares du moment. Mais loin de l’onglet « tendances », le géant américain propose un outil complet et offre une lucarne pour d’innombrables vidéos culturelles et scientifiques.
“ Les annonceurs vont moins aimer des contenus qui parlent d’actualité sensible ”
Depuis plusieurs années, la plateforme a également capté l’intérêt des journalistes. Les modèles économiques sont très différents pour ceux qui ont osé sauter le pas et il est parfois difficile d’accroître sa visibilité sur le réseau. « On peut faire toute sa carrière sur YouTube et ne pas décoller, parce que ça ne correspond pas à ce que la plateforme veut montrer. YouTube va faciliter la visibilité de contenus qui correspondent à ses idéaux et à une certaine mercantilité pour plaire aux annonceurs », exprimait sur France Culture, le journaliste spécialisé Vincent Manilève. « Les annonceurs vont moins aimer des contenus qui parlent d’actualité sensible. Les gens qui parlent de ces thématiques seront moins visibles sur YouTube. »
Différents modèles existent pour s’imposer sur la plateforme
Pour ne pas dépendre uniquement de ces considérations algorithmiques, au Media TV, chaîne d’information ancrée à gauche, on table depuis 2018 sur l’aide d’abonnés pour financer le projet. Pour exister, l’émission Data Gueule ou la journaliste débunkeuse AudeWTFake ont, quant à eux, misé sur une collaboration avec France Télévisions. Rarement en tendance, ces pionniers du genre s’efforcent de maintenir un équilibre sur une plateforme où les créateurs demandent des dons ou ont recours à la publicité et au sponsoring pour monétiser leurs contenus.
L’Esprit sorcier, créé en 2015 par des anciens membres de l’émission « C’est pas sorcier », s’est également implanté sur YouTube pour toucher un autre public, et notamment les « 76% des 15-25 ans, qui consultent YouTube tous les jours ou presque. » « Notre volonté, c’était d’offrir un contenu gratuit et sans publicité. Nos ressources peuvent intéresser les jeunes et on ne voulait pas qu’ils aient à solliciter leurs parents pour payer l’accès. Mais, il fallait bien trouver un modèle économique et notre meilleure solution pour lancer l’émission était de s’appuyer sur des partenariats », indiquait le journaliste Frédéric Courant, lors d’une entrevue pour le site Science animation.
Alors qu’une fenêtre journalistique s’est ouverte sur YouTube, la prochaine étape pourrait bien se concrétiser sur Twitch, qui se diversifie en accueillant déjà des émissions politiques proposées par des vidéastes. Son algorithme est assez similaire à celui de YouTube, mettant également en avant des recommandations aux utilisateurs. Maintenant, ce n’est sans doute qu’une question de temps pour que des médias se glissent dans la brèche pour diffuser, en direct, des contenus journalistiques sur le site de streaming-vidéo appartenant à Amazon.
Alexis Montmasson et Dany Tougeron